…et le cimetière (Déambulation…suite)
Avant de nous attarder devant quelques sépultures qui peuvent justifier un commentaire en lien avec ce que nous avons pu écrire dans ce site, terminons notre déambulation, non pas dans le déambulatoire, puisqu’il n’y en pas dans notre église, mais en suivant le même principe, en (re)faisant le tour complet de l’église. Pourquoi ? Pour s’arrêter devant les 14 stations du Chemin de Croix. La page précédente, trop remplie, refuse d’en accueillir les reproductions photographiques…mais ne constitue t-il pas une transition assez naturelle avec ce lieu d’éternité qu’est le cimetière ?
Les panneaux de bois sculptés ont été offerts par les fidèles à l’occasion de la construction de la nouvelle église. Leurs noms sont visibles au bas des tableaux.
Commençons cette flânerie dans le cimetière en rendant hommage à cette corporation parmi laquelle tout Sannatois possède au moins un ancêtre, les maçons. Et d’abord par celui qui nous gratifié de l’ange. Son nom qui ne disait sans doute rien à la plupart d’entre-nous, nous est devenu familier avec l’affaire des Valettes, et nous avons reparlé de lui, avec le commentaire du livret d’ouvrier de Jean Terrier (pages 36-37-38). Il s’agit d’un grand entrepreneur sannatois de la fin du 19ème siècle et du début du 20ème siècle, qui exerça son métier à Sète, dans l’Hérault, et qui construisit une belle demeure aux Valettes. Il s’appelait Jean Bardet.
L’inscription sur la photo du milieu, assez originale, complète le choix de l’ange qui surplombe le tombeau, et traduit sans doute la très grande sensibilité de la personne.
“Daignez seigneur ne pas séparer dans le ciel ceux que vous avez si étroitement unis sur la terre”
On devine assez facilement que Jean Bardet a fait graver cet épitaphe après le décès de son épouse survenu 6 ans avant le sien en 1922. On se souvient que dans ces années d’après-guerre il partageait son temps entre ses deux domiciles, celui de Sète et celui des Valettes.
Jean Bardet était incontestablement un maçon qui croyait en Dieu, mais sous l’influence du “modernisme” qui gagnait les villes, et qui prenait parfois les traits de l’athéisme, un certain nombre de migrants prirent leurs distances avec l’église et avec la religion. Soit par une pratique déclinante, réservée aux grands événements de la vie, soit en refusant le secours de la religion, même dans la mort. Ce qui autrefois était assez rare dans les campagnes…sauf en Creuse, et c’est bien pourquoi l’Eglise creusoise condamnait avec vigueur la migration, cause de tous les maux. Cette indifférence vis à vis de la religion pouvait même être revendiquée par l’affichage d’autre symboles, républicains, voire peut-être maçonniques. La colonne brisée est traditionnellement utilisée comme symbole par les libres-penseurs, mais certains, tant qu’à faire, ont préféré le mentionner en toutes lettres. Plus surprenant encore est le tombeau qui figure sur la troisième photo, non pour sa colonne brisée, mais parce qu’il ne porte pas de nom, mais simplement deux initiales entrelacées, dont émerge la lettre G, qui est aussi un symbole. Dans cette lettre G, on peut également lire un T. Notons que son entrée n’est pas du côté de l’allée, mais derrière, et il faut déplacer la stèle de la tombe pour dégager cette entrée…et, la dernière fois, on a oublié de prendre la peine de la remettre à sa place…ce qui peut faire croire qu’elle est tombée. Si on ajoute que les concessions du tombeau et de la tombe ne font plus qu’une aujourd’hui, et qu’un tombeau voisin porte le même nom que l’épouse, nous devriez pouvoir deviner (à moins que je ne me trompe), quels noms se cachent derrière ce G et ce T.
L’affichage d’opinions à travers des symboles, et même par des mots, n’était pas l’apanage du camp laïque. Il était naturellement celui des croyants depuis qu’ils arboraient la croix et d’autres signes religieux. Mais il pouvait, à la fin du 19ème siècle et au début du 20ème, dans la situation tendue de consolidation de la République, et de séparation de l’Eglise et de l’Etat, prendre des proportions ostentatoires. C’est dans ce contexte que fut décidée la démolition de l’ancienne église et son remplacement par une plus grande et plus majestueuse. Cette querelle dura d’ailleurs jusqu’au milieu du vingtième siècle, en s’estompant, puis en disparaissant. Mais jamais il n’y eut de véritables conflits. On se disputait, mais on entretenait des relations courtoises. On affirmait ses opinions, mais on se respectait.
Cette revendication, de son athéisme ou de sa foi, elle est exprimée sur ces 3 photos par un instituteur, mais dans un sens auquel on ne s’attend pas forcément, quand on sait combien fut difficile le combat des instituteurs laïques dans certains villages, face à l’hostilité du curé. Ici, à Sannat, ce fût le contraire, voici ce qui est écrit sur la pierre tombale, probablement suivant la volonté du défunt:
« Ici repose, un instituteur chrétien, Paul Marsallon, Officier d’Académie, 7 mars 1839-13 juillet 1898 »
Cette tombe est juste à côté de la sépulture de l’abbé Brugère, initiateur, contributeur, et grand artisan de la construction de la nouvelle église, décédé 4 mois et demi avant lui, le 28 février 1898. Nul doute qu’un fort lien devait unir l’instituteur, originaire de St-Pardoux-les-Cards, en poste à Sannat depuis une vingtaine d’années, et le prêtre. Mais en même temps il revendique son appartenance à ce grand corps que l’on n’appelait pas encore l’Education Nationale, mais l’Instruction Publique, en affichant ses mérites reconnus par ses supérieurs qui l’ont promu au grade d’Officier d’Académie (on dit aujourd’hui Officier dans l’ordre des palmes académiques), palmes qu’il a fait graver sur sa tombe (2ème photo). Hussard noir de la République certes, mais croyant revendiqué ! Ce qui bien sûr n’est pas incompatible, mais qui n’était pas véritablement dans l’air du temps. Cette piété, réaffirmée par l’inscription sur le socle de la croix (photo N°3), Paul Marsallon l’avait transmise à sa fille Eugénie, qui avait peint, et offert, le tableau représentant la Sainte Famille qui orne encore aujourd’hui la Chapelle Saint-Joseph de l’église.
NB: Après le décès de son mari, la veuve de Paul Marsallon, Madeleine Duméry, continuera à vivre à Sannat, avec ses deux filles, Marie et Eugènie, jusquà son décès en 1910.
En continuité de la page précédente, on retrouve ici les trois “pères” de l’église, fondateurs non pas de la nouvelle religion aux premiers temps du Christianisme, mais artisans de la construction de la nouvelle église. L’abbé Brugère d’abord, originaire de Dontreix, et qui arriva lui aussi à Sannat vers 1880, et qui ne profita guère de son église puisqu’il mourut trois mois avant sa consécration, à l’âge de 46 ans. Ensuite le maire de l’époque, Gustave Menut, forgeron au Bourg, maire de 1889 à 1899, et enfin le tombeau de la famille de Loubens de Verdalle, famille qui participa pour beaucoup au financement des travaux, et par des dons à son équipement, et qui soutint activement le prêtre dans son oeuvre. La photo prise de l’extérieur du cimetière montre que l’entrée au tombeau se fait depuis la route et un petit chemin…chose probablement rare.
Pour terminer cette petite flânerie, après avoir quitté le haut du cimetière occupé par le tombeau d’une famille qui a donné deux maires à la commune de Sannat au milieu du 19ème siècle, Vincent de Loubens de Verdalle (1851-1862) et Henry de Loubens de Verdalle (1874-1876), nous nous trouvons dans le coin opposé, en bas de l’ancien cimetière, où trois maires du 20ème siècle voisinent, côte à côte, et dans l’ordre chronologique : Joseph Bouchet (1925-1940), François Chirade (1944-1956) et Paul Riffat (1964-1985). Rendons leurs, à eux aussi, l’hommage qui leur est dû, comme à tous les édiles de la commune.