Hommage aux poilus sannatois. Exposition du 11-11-2015

La Creuse, les Creusois et la Grande Guerre

Compte-rendu de la conférence donnée par Guy Avizou à Evaux le 16 novembre 2015

« La Creuse et les Creusois et la Grande Guerre ».

A l’invitation de l’association « Evaux, Histoire et Patrimoine », Guy Avizou, élu guéretois et professeur agrégé d’histoire à la retraite, a traité, vendredi 16 novembre, salle de la mairie, d’un sujet que la commémoration du centenaire a remis dans l’actualité, « La Creuse et les Creusois et la Grande Guerre ». Au cours d’un exposé d’une grande clarté, d’environ une heure trente, qui a captivé le nombreux public, l’orateur a successivement abordé les points suivants : Comment s’est déroulée la mobilisation et comment ont réagi les Creusois ? -Comment s’est-on installé dans la guerre, et au prix de quelles transformations dans la vie du département et de ses habitants ? -Comment la Creuse a t-elle réagi aux événements de 1917 générés par la lassitude de la guerre ? -Quelles ont été les conséquences du conflit pour notre département ?

De son propos, il est ressorti, que comme les autres départements, en août 1914, la Creuse s’est résignée à la guerre, sans enthousiasme mais avec la conscience du devoir patriotique auquel l’instruction publique n’était pas étrangère, et avec l’espoir que la guerre serait courte et victorieuse. Puis il devint évident que la guerre serait longue. Chaque famille de soldat mobilisé craignait de voir le maire venir annoncer la sinistre nouvelle tant redoutée, les blessés affluaient vers l’arrière. Il fallut réquisitionner un grand nombre de bâtiments publics, notamment les établissements scolaires avec internats, pour en faire des hôpitaux. Ce fut notamment le cas à Guéret (voir photos). On constitua aussi des camps dits « de concentration », qui n’avaient rien à voir avec ceux qui ont suivi dans la seconde guerre mondiale. Ils rassemblaient, sous le contrôle de l’armée, les étrangers de nationalité allemande, ou membres de tout autre pays ennemi. Ce fut le cas à Ajain et à La Courtine. En plus des blessés et des étrangers suspects, la Creuse accueillit, la plupart du temps chez des particuliers, 15.000 réfugiés venus des régions envahies, du Nord et de l’Est de la France, et même de Belgique.

La vie quotidienne fut bien sûr affectée, les loisirs tels que les bals ou l’ouverture des cafés furent sévèrement réglementés ou bannis, le chômage dans certaines industries comme celle de la tapisserie devint quasi général, les produits de première nécessité se firent rares, l’inflation apparut. Généralement on s’interroge sur le rôle des femmes restées seules dans l’économie et la société, et sur les conséquences que la guerre eut sur l’évolution de la condition féminine. A cet égard la Creuse constitue un cas singulier. Ce rôle là, faire beaucoup de choses à la place des hommes, les femmes le jouaient depuis plusieurs générations à cause de la migration des maçons ! Il n’y avait rien de nouveau pour elles. Progressivement l’armée accorda des permissions aux fils d’agriculteurs aux moments des grands travaux agricoles, afin de maintenir la production.

La Creuse subit le contre coup de la lassitude de la guerre qui se manifesta en 1917, après l’échec des offensives meurtrières du printemps. Les condamnations à mort furent nombreuses et sur les 640 exécutées pour refus d’obéissance pendant la guerre, il y eut 6 Creusois…dont certains furent réhabilités ensuite. Le refus de la guerre fut encore plus grand chez notre allié russe, et provoqua la mutinerie des troupes russes qui avaient été affectées sur le front occidental. Les suspectant de vouloir refuser de combattre, elles furent rassemblées au camp de La Courtine, où se sentant piégées, elles se révoltèrent. Combien la répression fit-elle de morts ? On ne le sait pas, plusieurs centaines sans doute ? Le camp retrouva ensuite un rôle plus valorisant en formant les jeunes recrues américaines peu expérimentées qui débarquaient en France, avant qu’elles n’aillent combattre aux côtés de nos compatriotes.

Guy Avizou termina en exposant les conséquences dramatiques de la guerre pour notre département. La Creuse eut à déplorer 10.941 morts pour faits de guerre, soit environ 20% des mobilisés (ce qui est dans la moyenne nationale), auxquels il faut ajouter les innombrables blessés, ainsi que tous ceux qui furent psychologiquement atteints au point de ne jamais s’en remettre. L’hémorragie de la population fut d’autant plus terrible qu’il faut ajouter un important déficit démographique dû à la diminution des naissances, et à une amplification de l’exode définitif qui avait commencé avant le conflit (d’autant plus que les maçons creusois participèrent à la reconstruction des régions dévastées). L’orateur retint cependant un point positif, une éphémère amélioration de la situation des paysans qui bénéficièrent de l’augmentation des prix agricoles.

En conclusion il releva que pour la Creuse, comme pour la France et l’Europe, cette guerre marque une des ruptures les plus importantes de notre histoire, qui nous fera entrer dans ce siècle si troublé que fut le vingtième. La séance se termina par un échange nourri avec la salle qui manifesta ainsi l’intérêt que le sujet et l’orateur avait suscité.

Le Lycée de Jeunes Filles (aujourd’hui Collège Marouzeau)…

…et le Lycée de Garçons de Guéret transformés en hôpitaux militaires pendant le conflit.

Une triste journée

La déclaration de guerre, vécue ici (ou presque), racontée dans la langue utilisée à l’époque, par celui qui aujourd’hui la fait revivre, ici…

  Keiro bin na tristo journado ! (souvenirs authentiques “du Freu”)*

 

N’zeirin in trin d’meissunâ n’te segyeu, sû l’bôrd doou chami d’Lussat…

Dei koou tin, n’zabitavin à lâ Frarjà.

Y min rap’lo bin : y zayo mâ set ans !…

Lôou zomei, zayon doou dâa imbei d’lâ grifâ ; n’zaplavin ko in “fô-manche”, y sabe pâ pa de ske !

Keiro bin madû dei koou chan ! Yayo beu koke zégaussidâ et peeu arié dôou coquelicots et doou bluets…

Reu zeiro viarsa ! L’annado davant, keiro doou froumin ; tu par tiaro !

Fouyo tu zoou r’dreissâ imbei d’lâ fourchâ davant d’zoou foouchâ !…

In brav’ travail ma foué , pa bin eiza !

Fazio bin chô, dei klo seirado …

Nou zôt, loou gamîin, n’zeidavin lâ fiinnâ, pa amassâ la javélo ; tu l’mound zayo in voulan . N’poouzavin lô tâ, sû loou liens queu m’granpéé , le Louis, zayo fabrika

imbei d’la payo  treissado .

Ei peeu m’péé, inkeirâ in ôt Louis, oou passavo darié pa zouou liâ …

Aprié ko , fouyo feir d’lâ gourbiéra, imbei in  chapiô, dei la mémo journado, davant k’ka pouyo piôr … Kokéi joûû daprié, kan keiro mei seu, n’chariavin lâ gierbâ sûû na chorto , imbei lôou doûu bioou…

Y min raplo bin : keiro gajmin quaturâ !… D’in seul ko , lâ clochâ zoun suna l’glâ à la yezo d’Lussat … tu l’mound zou cooumpré : dépeeu doû-trei jouû, ne n’méfiavin d’ ko !

Loou zomei zoun poouza loou dâa par tiaro :

Lâ finnâ zoun pûra ! Keiro la guiaro !  Keiro in luundji …

Doouzu disavin que n’y oouro pâ pa bin looutin… Bobe mâ pa la Nuël…?

(03  Août 1914 aux Farges)                      

 

 

Une triste journée !

 

On était en train de moissonner notre seigle sur le bord du chemin de Lussat…

A cette époque, on habitait les Farges.

Je m’en souviens bien : j’avais juste 7 ans !…

Les hommes avaient des faux à griffes ; ça s’appelait des “faux-manches” ; je ne sais pourquoi !

C’était bien mur dans ce champ ! Il y avait bien quelques chardons et aussi des coquelicots et des bleuets…

Rien n’était versé ! L’année d’avant, c’était du froment , tout par terre !

Il fallait tout le redresser avec des fourches avant de faucher … joli travail ma foi,

pas facile !

Il  avait fait très chaud cette après-midi là…

Nous, les enfants, on aidait les femmes à ramasser la javelle ; nous avions tous des faucilles. On posait les tas sur les liens, que mon grand-père, le Louis, avait fabriqués avec de la paille tressée.

Et puis, mon père, encore un autre Louis, repassait derrière nous pour lier les gerbes.

Après ça, on devait mettre en gourbières, avec leurs chapeaux, le jour même, avant qu’il risque de pleuvoir…

Quelques jours plus tard, quand ça aura un peu séché, on charriera les gerbes sur une carriole , tirée par deux boeufs …

Je me rappelle bien : il était presque “16 h” ! … (= 4 heures du soir)

Soudain, les cloches ont sonné le glas à l’église de Lussat …

Tous ont compris : depuis 2 ou 3 jours, on s’y attendait !

Les hommes ont posé leurs faux ; les femmes pleuraient !

C’était la guerre !  C’était un lundi …

Certains disaient qu’il n’y en n’aurait pas pour bien longtemps !…

Peut-être seulement jusqu’à Noël ?…

  

Denis NICOLAS 

 

(Même si je connais cette histoire depuis longtemps, j’ai encore la chair de poule aux mots-souvenirs de ma grand-mère !)

 

* “le Freu” :

Surnom affecteux de ma grand-mère, tyran domestique au grand coeur, Alexandrine-Berthe Bonnefond, (1907-1985), connue sous le diminutif de “la Sandrine”, née aux Farges de Lussat. Puis elle vécut après-guerre au Montfrialoux, et enfin au Poux (épouse en 1926 Henri Debord, descendant des Jouanique, vieille famille du Poux) ; ils auront une seule fille : Fernande Debord, née en 1927, qui vit au Poux…

La guerre en 1915

Rappel : La guerre en 1914

On espérait que la guerre, déclarée par l’Allemagne à la Russie le 1er août 1914, puis à la France le 3 serait courte. Si l’Allemagne a marqué des points en faisant reculer les troupes françaises à l’ouest, et russes à l’est, elle n’a pas pu les défaire totalement. La contre offensive de la Marne a même permis aux soldats français de reprendre un peu de terrain. Puis, après « la course à la mer », le front s’est stabilisé le long d’une ligne allant de la frontière belge au sud des Vosges. Au sud de l’Europe, l’Autriche-Hongrie a échoué dans sa tentative d’envahir la Serbie, mais l’entrée en guerre de la Turquie aux côtés des Allemands en novembre 14 a créé un nouveau front et a rendu difficile les communications avec notre allié russe.

Fin 1914 tout indique que la guerre ne pourra être gagnée rapidement. On s’installe dans une guerre dont tout le monde se doute désormais qu’elle sera longue.

 

1915 : La guerre de tranchées

Une nouvelle stratégie doit être mise en œuvre. Pour se protéger des tirs adverses, les armées s’enterrent dans des tranchées. Plusieurs lignes, reliées par des boyaux s’échelonnent, protégées par des barbelés et des mines. Les conditions sont très dures pour les combattants, surtout à la mauvaise saison, froid, humidité, boue, rats, mauvais ravitaillement, tension nerveuse permanente, et bien sûrs violents combats.

L’attaque est généralement précédée d’un intense bombardement d’artillerie pour détruire les défenses adverses. L’assaut, protégé par les tirs des mitrailleuses, se fait au fusil, à  la baïonnette et à la grenade. Les Allemands ajoutent dés 1915 les gaz asphyxiants. La guerre de mouvement a été remplacée par la guerre de position qui, étant donné la puissance de feu des belligérants, se révèle extrêmement meurtrière, d’autant plus que les états-majors croient encore pouvoir percer les lignes ennemies par des attaques massives.

 

Les opérations militaires

Sur le front de l’est l’armée russe recule encore, perd un million et demi d’hommes rien que cette année 1915, mais elle réussit cependant à stabiliser le front suivant une ligne qui va de la Mer Baltique à la Mer Noire.

Sur le front occidental les Français attaquent successivement en Champagne (février), en Artois (mai-juin, appuyés par les Anglais) et en Lorraine (juillet). Devant l’échec total de ces offensives, et la lourdeur des pertes, l’état-major se résout à une  stratégie défensive.

Parallèlement des opérations de diversion sont menées sur le front sud. Les soldats français réussissent à s’installer à Salonique (nord de la Grèce), mais le corps expéditionnaire franco-anglais ne réussit pas à s’emparer des détroits qui donnent accès à la Mer Noire (expédition des Dardanelles, février-novembre).

Chaque camp reçoit un renfort en cette année 1915. L’Entente (France, Angleterre, Russie), sur la base de promesses territoriales qu’elle aura du mal à tenir,  bénéficie de l’entrée en guerre à ses côtés de l’Italie au mois de mai. Les Empires Centraux (Allemagne, Autriche-Hongrie) obtiennent le concours de la Bulgarie, affaiblissant ainsi considérablement la Serbie qui enregistre se premières défaites.

La guerre se déroule également sur les mers dont l’Entente, grâce à la très grande supériorité de la marine britannique, a la maîtrise. Aussi en profite t’elle pour tenter d’asphyxier économiquement l’Allemagne en essayant d’empêcher son ravitaillement par bateaux. C’est le blocus de haute mer. L’Allemagne tente de répliquer en lançant dés février 1915 la guerre sous marine qui vise à détruire les bateaux alliés, n’épargnant pas toutefois à l’occasion les bateaux neutres. Progressivement le blocus prouvera son efficacité, l’Allemagne souffrira davantage que l’Entente de pénurie de produits alimentaires et de matières premières.

 

La mobilisation du pays

A l’arrière, où rien n’avait été prévu pour faire face au prolongement du conflit, il faut s’organiser. L’économie a été désorganisée par la mobilisation des hommes et la réquisition des moyens de transports. Les stocks de munitions et d’armes s’épuisent rapidement, il faut relancer la production. Pour cela il faut rappeler les ouvriers des industries d’armement et de la métallurgie et embaucher massivement des femmes. L’Angleterre et la France font appel à la main-d’œuvre coloniale tandis que l’Allemagne réquisitionne les hommes belges ou français des zones occupées.

Sur le plan politique, le ralliement de l’opinion à la guerre se confirme même si les premières contestations apparaissent au sein du mouvement socialiste international, majoritairement pacifiste avant-guerre, mais qui par patriotisme s’était rallié à l’union sacrée. La conduite de la guerre est menée conjointement par l’état-major et le gouvernement. Dans les régimes autoritaires, les militaires exercent de fait le pouvoir, dans les démocraties comme la France, le gouvernement reste maitre de la situation. Le chef du gouvernement, à cette époque appelé « Président du Conseil » est chef des armées. (Rappelons-nous la phrase célèbre de Clémenceau prononcée avant le conflit «La guerre est une affaire trop grave pour la confier à des militaires.  »). Il est toutefois assisté du chef d’état-major qui lui est subordonné.

La guerre est aussi psychologique, il faut éviter la lassitude, la démoralisation ou le refus de la guerre, aussi filtre t’on l’information avec la censure et développe t’on la propagande avec ce qu’on nomme « le bourrage de crâne ».

 

Les dirigeants de la France en 1915 : 

Est Président de la République depuis 1913, et le restera jusqu’en 1920 Raymond Poincaré (mais sous la troisième république ses pouvoirs sont faibles).

Dirige véritablement le pays, le Président du Conseil (Premier ministre). Depuis juin 1914, c’est un député Creusois, René Viviani, qui exerce la fonction et qui a donc eu la très lourde responsabilité de faire entrer le pays dans la guerre à la suite de l’agression allemande. René Viviani a été élu député de la circonscription de Bourganeuf en 1906, et réélu en 1910 et 1914. Militant socialiste en rupture avec son parti, il accepta de rentrer au gouvernement en 1910 et fut le premier ministre du travail de la République. Il restera Président du Conseil jusqu’en  octobre 1915 où il sera remplacé par un autre ex-socialiste (on disait « socialiste indépendant »), Aristide Briand, dans le gouvernement duquel il sera ministre de la justice et de l’instruction publique.

 

…Et le dirigeant à Sannat est François Delage qui a exercé la fonction de maire de notre commune de 1908 à 1925.

Les morts sannatois de 1914 et 1915

D’où venaient-ils et où sont-ils morts ?

Trois visions de la guerre de tranchées

  • La vision neutre
  • La vision optimiste
  • La vision d’horreur

A chacun de se faire son opinion, avec toutes les combinaisons et nuances possibles…

Compte-rendu de la cérémonie.

Conformément aux décisions prises en réunion de bureau nous avons assisté à la cérémonie au monument aux morts, et comme la grande majorité de l’assistance nous nous sommes rendus, à l’invitation de Madame le Maire, à la salle des fêtes pour y lire les fiches des 19 soldats morts en 1915. Devant une assistance nombreuse, (60 personnes environ), attentive et recueillie, pendant prés d’une heure, nous avons honoré la mémoire de nos aînés morts pour que nous restions libres. L’actualité tragique du surlendemain devait montrer à quel point cette liberté est fragile, et combien nous sommes redevables à ceux qui ont combattu pour elle. Il nous a semblé que le meilleur hommage que l’on pouvait leur rendre, c’était de leur redonner vie un instant, en parlant personnellement d’eux, en racontant brièvement, avec nos modestes connaissances, ce que furent leur vie et leur mort. Quelques descendants, directs ou indirects, étaient présents et ont participé à la lecture.

L’assistance a ensuite été invitée à visiter l’exposition que vous pourrez découvrir dans quelques jours sur notre site internet.

Un verre de l’amitié, agrémenté d’amuse-gueules confectionnés par des adhérentes que l’on remercie, offert par SHP, clôtura la cérémonie.