Renée Létang. Ma petite école.

             J’ai gardé un bon souvenir de ma petite école. Je suis allée à l’école de Sannat, 3 kms à pied pour aller, autant pour revenir, à Pâques 1928. J’avais presque 6 ans.

            A cette époque, dans les campagnes, la rentrée se faisait à Pâques. Je pense que c’était pour habituer les enfants aux trajets avant les mauvais jours car certains devaient parcourir comme moi 3 à 4 kms, voire plus, matin et soir pour aller à l’école, à pied. La classe commençait à 8 heures. Il fallait compter ½ heure à peu près pour effectuer le trajet, donc l’hiver, allumer la lampe pour se préparer. Le soir, quand on rentrait vers 17 heures, nous étions libérés vers 16h30, il faisait presque nuit, très peu de temps pour jouer, pour s’ébattre un peu. Puis il fallait faire les devoirs, apprendre les leçons sous la lampe à pétrole. Malgré cela je n’ai jamais eu l’impression d’être une martyre.

           Le matin, quand j’étais prête, j’allais chercher Marcel, mon voisin. Il n’était jamais prêt, lui, il avait mal au ventre, enfin il faisait tout pour éviter l’école ! Il n’aimait pas les contraintes, puis nous passions chercher Raymond Ravasson. Quand nous arrivions, sa grand-mère, «la vieille Riffatte» montait au grenier et nous rapportait dans son tablier retroussé, de très belles pommes reinettes que nous croquions sur le chemin. Après il y a eu Popol, ça c’était une autre histoire ! Il traînait en chemin, il « rongeait » des pommes vertes qui tombaient des arbres et qui lui donnaient la colique ! C’est Madame Cruchant qui était contente !

“L’école des garçons” est devenue aujourd’hui une école  mixte très dynamique.

Puis nous arrivions à Sannat. Nous n’étions jamais en retard, nous courrions s’il le fallait, mais nous étions à l’heure. Je laissais les trois garçons à leur école au début de la rue à droite, puis je continuais vers l’école des filles un peu plus loin, à droite aussi.

“L’école des filles” devenue après-guerre “l’école des petits” servait jusqu’au Covid de cantine.

Il y avait un grand portail qui donnait sur un grand terrain. Sur la droite, les 2 classes séparées par un couloir, avec des porte-manteaux aux murs et à gauche la maison des instituteurs. A droite du couloir qui séparait les deux classes, c’était « la petite école » celle des débutantes, CP-CE1-CE2 ; à gauche celles « des grandes », cours moyen et certificat d’études.

 J’ai débuté avec Madame Nore, qui habitait au Chez, avec son mari qui possédait une ferme. Mademoiselle Veyronnet assurait la classe des grandes et du certificat d’études et habitait le logement de l’école, mais lorsque j’ai été en âge de rentrer dans cette classe, Mlle Veyronnet a pris sa retraite, et comme les effectifs avaient diminué, l’Inspection Académique en a profité pour supprimer une classe. Les petites filles sont allées alors chez Mme Cruchant à l’école des garçons, c’était une classe mixte, puis elles revenaient finir leur scolarité à l’école des filles. Le matin nous commencions par sortir du cartable, l’ardoise et le crayon d’ardoise enfilé dans un étui de fer pour qu’il soit plus solide. Puis une boîte à cirage vide et nettoyée qui contenait un petit chiffon humide pour essuyer l’ardoise. Je me souviens qu’un jour, j’ai échappé le couvercle qui a roulé un moment sur le sol avant de s’immobiliser. Je le regardais rouler et quand il s’est arrêté j’ai eu droit « d’aller au coin » pour le bruit qu’il avait fait. C’était sévère à cette époque mais cela m’avait marquée. J’ai eu pour la première fois un sentiment d’injustice. Ce n’est pas pour cela que j’en ai voulu à Madame Nore. J’ai adoré mon institutrice, c’est elle qui comptait le plus après mes parents et je suis allée la voir, à Sardent, où elle avait pris sa retraite près de sa famille jusqu’à sa mort. Mais revenons à Sannat. Après la suppression d’une classe, Mme Nore est devenue alors directrice de l’école des filles à la place de Melle Veyronnet, et moi je suis entrée à « la grande école » en même temps, si bien que je l’ai suivie et que je n’ai eu qu’elle comme institutrice pendant toute ma scolarité primaire. Une autre a suivi le même chemin, c’est Hélène, la sœur d’Odette Gourdon, nous étions amies et inséparables. Mme Nore nous appelait « les miennes » ce qui occasionnait quelques jalousies parmi les élèves.

Reconstitution d’une école primaire d’autrefois à Bosmoreau-les-Mines dans le sud-est de la Creuse.

Le matin, quand nous arrivions, Mme Nore tapait dans ses mains et nous nous mettions en rang, puis nous accrochions nos manteaux aux porte-manteaux dans le couloir et nous entrions en classe : une grande pièce très claire avec de grandes fenêtres de chaque côté. Au milieu de la salle, très vaste, il y avait un gros poêle rond en fonte avec un grand tuyau accroché au plafond qui suivait une grande partie de la pièce. Il ne faisait pas chaud l’hiver ! Une femme venait le charger le matin et l’allumer, puis elle posait un panier de bûches de bois sec à côté et nous étions chargées de l’alimenter en combustible pendant la journée. A droite du poêle, il y avait le cours des petites et de celles qui venaient de la classe de Mme Cruchant puis à gauche, le cours des grandes : cours moyen et certificat d’études. Des tables-bancs à deux places, avec une petite glissière pour poser le porte-plume et l’encrier encastré que l’on remplissait le matin. Au mur, en face étaient accrochés deux tableaux noirs, un pour les grandes, un pour les moyennes, et au milieu un paquet de cartes de géographie et au sol le bureau de la maîtresse posé sur une estrade. Dans le coin, un placard vitré qui contenait les mesures de capacité en étain : litre, décilitre, centilitre, millilitre, c’était joli ! Un grand panneau représentant le doryphore qui « mangeait » les pommes de terre (œuf-larve-insecte), c’était un véritable fléau. Au début, je me souviens très bien que l’on allait dans les champs de pommes de terre avec des récipients pour recueillir les larves que l’on faisait brûler, il fallait faire très attention de ne pas en oublier car ils se reproduisaient très rapidement. Dans un autre coin, une sellette, haute, où l’on posait les fleurs, il y en avait toujours. On était bien dans ma petite école. L’hiver, nous étions contentes de trouver la chaleur du poêle après trois kilomètres faits sous le vent ou la pluie et même parfois la neige. L’été on entendait passer et l’on voyait même à travers les vitres, les charrettes de foin que l’on ramenait à la ferme. J’entends encore le bruit des roues cerclées de fer. Il faisait chaud ! Quelquefois on avait un peu sommeil et on pensait aux grandes vacances qui n’allaient pas tarder à arriver, car, si on aimait bien l’école, moi en tous cas, on aimait bien aussi les vacances qui nous amenaient la liberté.

 

Les programmes de l’époque étaient très bien faits, très bien pensés. J’ai pu m’en rendre compte au fil de ma longue carrière dans l’enseignement. Quand on sortait de l’École Primaire, même si l’on n’avait pas le certificat d’études, on avait un aperçu sur tout. On savait lire, écrire, compter, s’exprimer, plus ou moins bien, mais on savait. On avait une idée sur le monde grâce à la géographie, un aperçu de l’histoire de notre pays, on connaissait le fonctionnement des plantes, des animaux, du corps humain. Les filles savaient un peu tricoter, faire un ourlet, une boutonnière, une reprise. On apprenait de très jolies poésies, des chants, des jeux instructifs parfois.

Autre nuisible : L’alcool ! L’éducation nationale, que l’on appelait alors l’instruction publique, savait délivrer des messages forts…

Aux récréations, on employait beaucoup d’imagination pour inventer des nouveaux jeux, mais les recréations étaient courtes alors nous les prolongions sur le chemin du retour. Nous avions des parties de route commune en sortant de l’école. Nous, nous partions avec ceux du Montgarnon, d’Anvaux, de la Bregère, de la Chaumette aussi parfois. Avec ceux du Montgarnon, nous avions un rite : quand on se séparait, chacun sa route, on tapait sur l’épaule d’un concurrent en lui disant : « tu as le chat » et on partait très vite. Il ne fallait pas emporter le « chat » ! C’était un déshonneur. Mais un peu plus loin, les routes se rejoignaient par un petit chemin emprunté par les bêtes, alors, on rusait, on allait en se cachant surprendre ceux du Montgarnon, si nous avions le chat, le leur donner à notre tour et repartir à toutes jambes. Mais il y avait parfois des jeux moins amusants : les plus grands, ceux de la Chaumette ou de la Bregère venaient à l’école en vélo, c’étaient « les caïds », ils pouvaient tout se permettre. Ils jetaient nos bonnets, ceux des petits dans les flaques et ils roulaient dessus avec les vélos, la même chose pour les sacs. Il n’y avait qu’une seule solution pour les arrêter, les parents allaient se plaindre à leur maître, Mr Cruchant, alors là, c’était radical ! Ils filaient et ne s’attardaient plus en route. La crainte du maître, bannie aujourd’hui, était efficace. Maîtres et parents unis dans la même action, c’est cela qui portait ses fruits. Les enfants « du bourg », pourtant avantagés, nous enviaient. Parfois, à la sortie de l’école, au lieu de rentrer chez eux, ils venaient faire un petit bout de chemin avec nous et partageaient nos jeux. Très souvent, Madeleine Fougère (Chaumeton), après avoir pris son goûter, me suivait, partageait les mêmes jeux, les mêmes copains, là, nous étions tous ensemble, garçons et filles et les jeux, bien sûr, étaient différents. L’été, on jouait à la noce. On mettait aux filles de grandes tresses de chèvrefeuille qui faisaient comme un voile, comme des couronnes. L’hiver, on faisait des batailles de boules de neige. A cette époque les 3 kms entre Anchaud et Sannat ne me faisaient pas peur. Souvent le matin, mon tonton me donnait une pièce de «40 sous » et me disait « tu m’apporteras un paquet de tabac, du tabac gris » mais dans le feu de l’action, j’avais oublié le tabac. Je pensais à la déception du tonton et je retournais à Sannat, au bureau de tabac et revenais à Anchaud comme si rien n’était, 10 minutes plus tard, c’est tout ! J’avais de bonnes jambes !

Quelquefois, quand il faisait beau et pour changer un peu, nous décidions de prendre la route de la Croix de pierre, plus longue. (Cf. photo ci-contre) Nous partions alors avec nos copains du Puylatat, puis du Montfrialoux, de Serre et du Tirondet. Au départ, nous étions nombreux puis nous laissions ceux du Puylatat et continuions avec les autres, mais pas jusqu’au bout, car arrivés à la Croix de pierre, nous bifurquions vers la gauche après avoir souvent fait une partie de cache-cache dans les champs de genêts, « les balais » du Père Touène d’Anchaud ; le pauvre, tous ses champs étaient en friche. Nous arrivions par le bas du village, Marcel et moi les premiers, les autres montaient alors la côte pour arriver chez eux.

Avec le temps et le recul, ce sont de bons souvenirs !

Les élèves de l’école des filles en 1932

Suivent cette évocation de l’école des filles entre les deux guerres une photo des élèves de l’école des filles en 1932, avec l’institutrice, Sidonie Nore. Parmi ces élèves, la narratrice, Renée Létang (née Pinthon) et d’autres petites filles qui furent les mères d’actuels ou d’anciens adhérents de SHP.