Les migrations d’un maçon sannatois : Jean Terrier
Biographie de Jean Terrier et monographie du village de la Chassagnade
Ce travail de présentation et d’analyse a été permis par la mise à disposition par Roland Nicoux, Président de l’association des maçons de la Creuse, d’un « livret d’ouvrier » d’un maçon sannatois, Jean Terrier. Qu’il en soit ici chaleureusement remercié. Etant donné l’importance des maçons dans le village de la Chassagnade où résidait ce migrant, l’étude de ce village fait office d’introduction à cet article.
Jean Terrier est né le 3 avril 1849 à Arfeuille-Châtain, au village du Mazeau. Il était le fils de Marien Terrier, tailleur de pierre, et de Marie Depoux, son épouse. Il a épousé le 5 avril 1875, à la mairie de Sannat, une jeune femme de Sannat, Louise Affrais, âgée de 22 ans. Il était lui-même âgé de 26 ans. Sa profession déclarée était celle de meunier, comme son père Marien qui s’était établi meunier au moulin des Valettes que nous avons évoqué dans l’article consacré à l’affaire du drame familial qui s’était déroulé dans ledit village des Valettes. Mais au moment de son mariage Jean Terrier ne produisait pas de farine car il était « soldat en congé ayant obtenu une permission de mariage à la date du 25 mars 1875 ». (Ce qui signifie qu’il avait tiré un mauvais numéro. Comme il avait eu 20 ans sous le Second-Empire, en 1869, lui fut encore appliquée la loi de conscription en vigueur à ce moment-là qui était la loi Gouvion-Saint-Cyr de 1818, légèrement réformée en 1855, et non la nouvelle loi de 1872. Les trois différences majeures consistaient en la réduction du temps de service de 6 à 5 ans pour ceux qui avaient tiré un mauvais numéro, en l’obligation pour les autres d’effectuer un an de service, et en la suppression de la possibilité de se faire remplacer pour ceux qui avaient tiré un mauvais numéro et qui avaient les moyens financiers de racheter leur remplacement par un plus chanceux…et plus pauvre. L’incorporation se déroulant généralement dans la 21ème année, quelle que soit la loi qui s’appliquait à lui, il s’approchait de la fin du service militaire au moment de son mariage). L’épouse s’appelait Louise Affrais, elle est qualifiée sur l’acte de mariage de cultivatrice, et dite domiciliée à la Chassagnade. Elle était née dans ce village très proche des Valettes, le 5 novembre 1852. Elle était la fille de Pierre Affrais, âgé de 60 ans, maçon, et de Louise Canord, tous les deux habitants et originaires de la Chassagnade. Jean et Louise ont eu deux enfants, Jean-Baptiste, né le 10 janvier 1876 aux Valettes, et Caroline née le 17 décembre 1888 à la Chassagnade. (Notons que sur les deux actes de naissance de ses enfants, le père, Jean Terrier, est déclaré « maçon », et non « meunier » et « soldat » comme lors de son mariage. Cela signifie qu’à la naissance de son fils en 1876, il avait été libéré des obligations militaires et qu’il était devenu maçon migrant, comme l’avaient été avant lui son père tailleur de pierre, et son beau-père maçon. Les mentions marginales nous apprennent que Jean-Baptiste (le fils de Jean) s’est marié en 1906 dans le département de la Charente-Maritime, à Douhet, et qu’il est mort à Bellerive sur Allier, dans l’Allier, en 1973. Sa fiche matricule nous confirme ce qu’on pouvait supposer, comme son père et comme son grand-père il fut un maçon migrant. Caroline quant à elle s’est mariée à Sannat en 1908 avec un cultivateur de la Ville du Bois, Antoine Pinthon, et elle est morte à Sannat en 1964. Nous aurons l’occasion de reparler de cette famille avec l’étude plus globale du village de la Chassagnade, qui nous est permise par les recensements de 1866 à 1936.
Le village de la Chassagnade.
Le village de la Chassagnade, dernier village de la commune sur la route d’Arfeuille-Châtain, à la limite des deux communes, présente quelques particularités intéressantes. Certes les maisons sont peu nombreuses, six pour la période qui nous intéresse, sept aujourd’hui avec l’adjonction d’une maison neuve, mais on a affaire typiquement à un « village-rue », composé de maisons alignées au bord d’une route, par opposition au « village-tas » aux maisons groupées, dominant dans nos campagnes creusoises. Il n’est toutefois pas le seul dans ce cas, nous avions eu l’occasion de rencontrer ce type de village dans notre rubrique « Sannat à tire d’ailes », notamment dans le bas de la commune. Plus rare, mais pas unique, presque toutes les maisons qui vont faire l’objet de notre étude, c’est-à-dire, en excluant la construction moderne, sont situées d’un même côté de la route…comme au Puylatat, pour la même raison, la présence d’un « communal », mais avec un effet inverse. Enfin dernière caractéristique, cinq des six maisons qui nous intéressent sont de construction relativement récente, fin 19ème siècle, début 20ème, et semblent appartenir à la catégorie des maisons dites « retour de migrant », c’est-à-dire avoir été bâties par des maçons migrants.
Les recensements consultables surle site des Archives départementales qui vont de 1866 à 1936 permettent de savoir qui a habité ces maisons pendant cette période. Les numéros d’ordre attribués aux maisons sont plus ou moins logiques, ils varient d’un recensement à l’autre. Si ce n’est plus la même famille qui la possède encore aujourd’hui, il n’est pas toujours facile de faire coïncider un nom de famille et une maison, d’autant plus que d’anciennes maisons ont disparu. Dans le cas de la Chassagnade c’est plus simple car les maisons sont peu nombreuses, bien distinctes, et la connaissance de certains noms qui sont apparus dans d’autres études permet de faire le lien.
Essayons de faire l’historique de ces maisons et pour cela commençons par leur attribuer un numéro pour les différencier. Sur la droite de la route, en venant du Bourg de Sannat, en face de la route du Châtaignier, se trouvent deux maisons, une ancienne avec une grange, que nous appellerons Maison 1, et une plus récente, légèrement en retrait de la route, Maison 2. Côté gauche de la route, toujours en venant du Bourg, on trouve deux maisons avant la route du Châtaignier que l’on va nommer Maisons 3 et 4, et deux maisons après la route du Châtaignier et le petit creux, les Maisons 5 et 6. Nous ne parlerons pas des maisons récemment construites au bout du village (dont une fait partie de la commune d’Arfeuille-Châtain).
Maison N°1
En 1837, sur le plan cadastral dit Napoléonien, le lieudit est nommé « Les Chassagnades » (rappelons que Chassagne ou Chassagnade indique un lieu planté de chênes). Une seule maison figure sur ce plan. Elle correspond à la partie droite de l’ensemble N°1. C’était une petite maison qui appartenait à un maçon devenu journalier à la fin de sa vie (CDD de l’époque, extrêmement court, puisque que par définition les ouvriers agricoles que l’on dénommait ainsi était embauchés, et payés, à la journée). Il possédait en outre un petit terrain de 40 ares. Cet homme s’appelait Claude Trépardoux. Il était né en 1786 et il est décédé en 1824. Il avait épousé Marie Furet, une femme du même âge que lui, mais déjà mère d’une fille, Jeanne. En 1838, « Jeanne Furet, fille naturelle de Marie, servante âgée de 25 ans, née à Champagnat, précédemment servante à Chambon », épouse Jacques Affrais, maçon, âgé de 24 ans, né à Mainsat. Jacques Affrais était le fils de Léonard Affrais, lui-même maçon, âgé de 53 ans au moment du mariage de son fils, demeurant au village de Fayolle, et de Marguerite Trépardoux, probablement la sœur de Claude Trépardoux.
Aussi n’est-il pas étonnant lors du premier recensement disponible sur le site des Archives départementales de trouver comme chef de famille dans cette maison, le neveu de Claude Trépardoux, époux de sa belle-fille, Jacques Affrais. Il n’est plus qualifié de maçon, mais de cultivateur, mais cela changera, tantôt il sera maçon, tantôt cultivateur, probablement selon qu’il ait migré ou non l’année du recensement. Il décédera à la Chassagnade en 1873. Son gendre Gilbert Duméry, né au Puylatat en 1839, qui avait épousé en 1865 Marguerite, la fille de Jacques Affrais, était également maçon. Lui-même décédera en 1913. Le fils de Gilbert, Pierre, né en 1873, lui aussi sera un maçon migrant. Grâce aux fiches matricules, on sait qu’il migrera successivement à Dijon en Côte d’or (1897) à Nancy et Homécourt en Meurthe et Moselle (1899), à Privas en Ardèche (1901), à Auxerre dans l’Yonne (1907), à Epinal dans les Vosges (1912), également dans les Vosges l’année suivante à Vincey et à Charmes, et enfin à Bourges, dans le Cher en 1919.
La maison initiale est située à droite sur la photo.
A la maison initiale ont été ajoutées, à gauche, une grange et une écurie dont les pierres d’encadrement des ouvertures montrent que cette partie du bâtiment est d’une facture plus récente.