Les élections municipales à Sannat sous la Deuxième République et le Second-Empire.
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Les ELECTIONS MUNICIPALES à SANNAT sous la DEUXIEME REPUBLIQUE et le SECOND EMPIRE
…telles qu’une liasse conservée aux Archives départementales permet de les restituer (AD : Elections municipales 1848- 1871. Cote 3M 245).
25 mai 1848 : Lettre de la Sous-Préfecture d’Aubusson.
Nous sommes sous la Seconde République. Lors de la Révolution de février 1848 le peuple de Paris a renversé le roi Louis-Philippe et mis fin à la Monarchie de Juillet.
Le « Citoyen Commissaire » d’Aubusson écrit au « Citoyen Commissaire » Arnaud Menat pour lui dire tout le mal qu’il pense du Citoyen Loubens que certains recommandent pour le poste de Maire, or, écrit- il :
« Le citoyen de Loubens est le frère ou le parent d’un Loubens de Verdalle qui s’est placé dans une opposition très avancée à la révocation dont l’a frappé votre prédécesseur, à ce point que destitué il ceignit l’écharpe et fit conduire les électeurs à son canton et les fit voter je ne sais pour qui… » Et il l’accuse de faire partie de ces gens qui veulent « faire rétrograder les institutions démocratiques qui ne devraient aller qu’à des cœurs dévoués à Henry Cinq ».
Que sont ces « Citoyens commissaires ». Ce ne sont pas des responsables de la police mais les représentants de l’Etat. Il s’agit du Sous-Préfet d’Aubusson qui écrit à son supérieur le Préfet de la Creuse. Le nom des représentants du pouvoir central a évolué dans le temps. Sous l’ancien régime c’étaient les Intendants. Sous la Révolution, la première République, très décentralisatrice, avait préféré des exécutifs départementaux élus, puis à partir de 1795, avec le Directoire, avait nommé des représentants appelés « Commissaires du gouvernement » aux pouvoirs limités. Quelques années plus tard Napoléon renforce leur pouvoir, et donc le sien, en les transformant en « Préfet », nom repris de l’ancienne Rome, non pas celle de la République qui avait ses « Ediles » élus, mais celle de l’Empire. Le retour, à partir de 1815 des rois Louis XVIII, Charles X et Louis-Philippe ne change rien, par contre le renouveau de la République en 1848 si, les « Citoyens Commissaires » remplacent Préfets et Sous- Préfets…pour quelques mois seulement. Les Préfets revinrent…jusqu’en 1944, où discrédités par le rôle que leur fit jouer le régime de Vichy, ils furent à nouveau remplacés par des « Commissaires de la République » jusqu’en 1946. Bis-repetita en 1982 sous le premier mandat de François Mitterrand, reviennent les « Commissaires de la République », remplacés par les Préfets en 1988…
Cette missive suscite une interrogation, de quelle fonction a été révoqué Mr de Loubens de Verdalle ? On pense à celle de maire. Or, à défaut d’un document recensant la liste des maires, ou d’un registre des délibérations du conseil municipal qui n’apparaitra que quelques années plus tard, on ne peut qu’éplucher les registres des actes d’état-civil pour connaître les noms des maires successifs. Ainsi on constate que le signataire en qualité de maire, officier de l’état-civil, était au moment de la Révolution de 1848 Henri Pérard. Il l’était depuis 1838, et le fut au moins jusqu’au 29 mars 1848 (la Révolution s’est déroulée les 22-23- et 24 février 1848). Il a dû quitter ses fonctions à la suite de sa nomination comme juge de paix à Evaux si l’on en croit une citation qui figure page 10 de cet exposé. De ce moment-là, jusqu’au moins le 29 mai, Marien Rayet, ex 1er adjoint assure l’intérim, puis il est remplacé par Arnaud Menut jusqu’à fin septembre. Or sur ces entrefaites, une loi imposa le renouvellement de tous les conseils municipaux en juillet par élection au suffrage universel (masculin). Auparavant ils étaient élus au suffrage censitaire (seuls les plus riches avaient le droit de voter) et les maires était nommés par les préfets. Dorénavant (mais pour peu de temps), ils seront élus par leur conseil. Mais avant de raconter l’élection municipale de l’été, essayons de comprendre le contenu de la lettre du « Citoyen Commissaire » d’Aubusson.
Quelle fonction a occupé Monsieur Loubens de Verdalle avant le 25 mai 1848, date du courrier du Commissaire, de laquelle il fut évincé ? Cela s’est passé avant le 23 avril. Une phrase permet de le deviner.
« …à ce point que destitué il ceignit l’écharpe et fit conduire les électeurs à son canton et les fit voter je ne sais pour qui… ».
Que s’est-il donc passé en France le 23 avril 1848 ? C’était le dimanche de Pâques, les citoyens français (les hommes de plus de 21 ans) furent conviés à la première véritable élection au suffrage universel de notre histoire, hors contexte troublé de la Convention (1792-1795) où tout le monde ne put voter. Il fallait élire l’assemblée législative constituante qui fonderait la nouvelle république, la Seconde République. Le scrutin se déroulait en un seul tour, au chef-lieu de canton. L’enjeu était de taille, il opposait les tenants des anciennes monarchies, tantôt ouvertement anti-républicains, comme Mr de Verdalle, tantôt camouflés en « Républicains du lendemain », aux partisans de la République, divisés en modérés pour qui les réformes politiques libérales suffisaient et qui redoutaient les réformes sociales que ceux qu’on appellera quelques mois plus tard les « démoc-soc » (démocrates-socialistes) proposaient. Les républicains trouvaient un écho surtout dans les villes, les campagnes, encore largement analphabètes, suivaient volontiers leurs « bons maîtres » ou leurs « bons pasteurs », le seigneur et le curé, d’opinion plutôt monarchiste. Aussi il fut fréquent que ce fut sous leur conduite, au sortir de la messe pascale, qu’on se rendit en cortège au chef-lieu de canton pour y choisir la bonne liste. On choisit…, bien que ne sachant pas lire, et sous le regard d’autrui, le vote étant officiellement secret, mais sans enveloppe, sans isoloir, et remis au président du bureau de vote. Ces garanties de la sincérité du vote ne seront rendues obligatoires en France qu’en 1913 !
Pour en revenir à Mr de Verdalle, peut-être pendant un court intermède, après la démission d’Henri Pérard, durant la période de transition, a-t-il été élu maire par l’ancien conseil qui siégeait toujours, et a-t-il été rapidement démis en raison de son opposition au nouveau régime républicain. Mais son nom n’apparait sur aucun acte d’état-civil de cette période qui va du départ d’Henry Pérard qu’on peut situer à fin mars 1848 à ce jour de Pâques, 23 avril 1848 où il devait conduire le cortège des électeurs sannatois sur la route d’Evaux, ceint de son écharpe. Une autre question se pose, de quel de Loubens de Verdalle s’agissait-il ? Henry qui sera maire de Sannat plus tard, de 1874 à 1876, ou de son frère cadet Vincent qui le fut d’octobre 1848 jusqu’à son décès en 1862 ?
La phrase « Le citoyen de Loubens est le frère ou le parent d’un Loubens de Verdalle qui s’est placé dans une opposition très avancée à la révocation dont l’a frappé votre prédécesseur… » pourrait signifier qu’un de Verdalle a d’abord joué un rôle politique à Sannat, puis qu’il a été révoqué, et qu’ensuite son frère a pris le relais. La logique voudrait en ce cas que le notable influent ait été l’aîné, Henry (né en 1817), et à ce titre principal héritier de son père Annet, encore vivant, et que le frère vengeur, prêt à relever le défi et à laver l’affront ait été le cadet Vincent (né en 1819). Mais cette hypothèse ne tient guère puisqu’on trouve nulle trace d’un de Verdalle ayant occupé une fonction de maire à Sannat à cette époque.
Monsieur Antoine de Matharel, descendant de Loubens de Verdalle, qui connait bien l’histoire de sa famille et qui collabore activement à nos recherches, émet l’hypothèse d’une confusion possible entre le père, Annet (1769-1856) et l’un de ses fils, Henry ou accessoirement Vincent. La voici :
« A ses trente ans, nous sommes donc vers 1799, Annet est maire de Châtain.
(Le 17 octobre 1803, en tant que maire, il marie sa sœur à Châtain). Ce monarchiste est donc encore maire à la veille de la proclamation de l’Empire (en 1804) ; sa fonction a-t-elle survécu à ce changement de régime ?
Le Citoyen Commissaire se réfère-t-il à une révocation qui aurait eu lieu près d’un demi-siècle plus tôt dans un contexte politique très différent, mais dont l’attitude du vieil émigré et du vieux châtelain légitimiste à propos de la révolution de 1848 et des élections, brandissant son ancienne écharpe de maire, aurait réveillé le souvenir ? »
Peut-être le Citoyen Commissaire qui ne parle que par ouï-dire, puisqu’il est incapable de préciser s’il s’agit « d’un frère ou d’un parent », mélange-t-il les hommes et les époques, prêtant au meneur de la « procession électorale », une posture qui fut celle de son père, ce qui lui permet de grossir le trait pour rendre son propos plus crédible ?
Tentation d’autant plus grande que les sentiments monarchistes des frères de Verdalle, selon les biographes de la famille, étaient clairement revendiqués. Ils sont caractérisés ainsi sous la plume du Citoyen Commissaire qui les accuse « de faire partie de ces gens qui veulent faire rétrograder les institutions démocratiques qui ne devraient aller qu’à des cœurs dévoués à Henry Cinq », c’est à dire le prétendant au trône de France, que ses partisans appelaient ainsi, mais qui n’a jamais régné. Il était le petit-fils de Charles X, descendant en ligne directe de Louis XV, présomptif héritier du royaume depuis l’assassinat de son père, le duc de Berry en 1820. (Comme Jean-Baptiste de Loubens de Verdalle, et pour les mêmes raisons, il fut qualifié « d’enfant du miracle » car les deux pères moururent peu avant ou peu après leurs naissances !). Il est plus connu sous le nom de Comte de Chambord. Les royalistes qui le suivaient étaient appelés « légitimistes » et ils considéraient comme usurpateur le roi Louis-Philippe, ancien duc d’Orléans, dont les partisans étaient nommés « orléanistes ».
L’élection du Conseil Municipal a eu lieu le 30 juillet. L’assemblée électorale qui s’est réunie ce jour était composée de 201 électeurs. Les électeurs étaient appelés les uns après les autres, ils devaient « remettre dans les mains du Président leur bulletin fermé et le Président le déposait dans l’urne placée sur le bureau et exposée aux regards de l’assemblée ». Parmi les élus on retrouve Vincent de Loubens de Verdalle qui devient maire le 11 septembre 1848. (Ce qui confirme que le prétendant déconseillé par le Commissaire d’Aubusson était bien Vincent, et donc le déchu, meneur du 23 avril, Henry).
Mais l’élection du Conseil Municipal de juillet a dû être annulée puisqu’en octobre on procède à une nouvelle élection. Le 1er octobre 209 électeurs revotent (sur 436 inscrits) pour élire les 16 membres du Conseil. Mr Vincent de Loubens de Verdalle est reconduit dans ses fonctions de conseiller municipal puis de maire.
On peut constater que l’abstention est massive, plus de la moitié du corps électoral, cela se vérifiera à chaque scrutin. La raison en est simple, l’élection se déroule au moment de la migration saisonnière. Les maçons migrants ne peuvent évidemment pas voter, cela explique non seulement la forte abstention, plus de 50%, mais aussi la surreprésentation des gros propriétaires. Les maçons qui représentent généralement une catégorie moins aisée, celle qui a besoin de s’expatrier pour compléter le maigre revenu de son exploitation, ou même qui ne possède rien du tout, pourtant très majoritaires dans la population, ne votent pas, ne sont pas élus, et ne participent donc pas à la vie politique communale. Cela a obligatoirement des conséquences en termes de de composition sociale et de sensibilité politique de la représentation communale.
L’élection municipale suivante (renouvellement par moitié en principe tous les 3 ans) se déroule le 12 septembre 1852, le nombre de votants est de 209, sur 436 électeurs inscrits. L’abstention est toujours aussi forte. (52%)
Nouvelle élection au bout de 3 ans, mais cette fois générale et pour une durée de 5 ans. L’élection se déroule le 15 juillet 1855. 162 électeurs seulement se déplacent sur un total d’inscrits de 436. L’abstention atteint près des 2/3 (63%). A noter également que la réglementation électorale ne prévoit plus que le bulletin doive être plié. On est désormais sous l’Empire depuis 1852, c’est à dire un régime à caractère dictatorial, le vote perd le peu de secret qu’il possédait.
Vincent de Loubens de Verdalle continue à être le premier magistrat de la commune, bien que les conditions d’accession à la fonction aient changé. Depuis le coup d’état de Louis-Napoléon Bonaparte en 1851, devenu Napoléon III l’année suivante, les maires sont à nouveau nommés par le Préfet. (Ainsi que les adjoints). Ce qui est donc le cas de Vincent de Verdalle, pourtant monarchiste légitimiste…mais dans un premier temps Louis Napoléon Bonaparte avait été porté au pouvoir par les royalistes qui pensaient pouvoir le manipuler « C’est un nigaud, on le mènera par le bout du nez » disait Thiers » …la suite prouva que non !
Les fiches de renseignements remplies par le maire et l’adjoint apportent les précisions suivantes :
Vincent de Loubens de Verdalle est un propriétaire âgé de 36 ans (il est né le 27 mars 1819), célibataire, dont la « fortune personnelle évaluée en revenus est de 1500 F » (Comme cela a été détaillé dans l’article sur l’histoire de la famille de Loubens de Verdalle qu’avait rédigé Mr Antoine de Matharel, la branche sannatoise de la famille est propriétaire des domaines et du « château » du Tirondet d’en Haut. Mais si Henry, l’aîné, possède le château et les deux domaines attenants, Vincent, en qualité de cadet doit se contenter d’un seul domaine, la Chassagne et sa tuilerie. L’adjoint René Rayet dispose lui d’un revenu de 400 F, il est « propriétaire et maréchal » au Bourg.
Le Comte Vincent de Loubens de Verdalle semblait être homme d’un caractère entier qui ne goutait guère qu’on le désavoue, fût-on Préfet de la Creuse. Par lettre en date du 11 juillet 1858 adressée au dit- Préfet, en plein Empire qualifié d’« autoritaire », il n’hésite pas à se rebeller en envoyant sa lettre de démission au Préfet qui a osé annuler la délibération qu’il avait fait prendre par son conseil, qui autorisait la mise en fermage de l’herbage d’un terrain communal. Une lettre du Sous-Préfet au Préfet explique qu’il s’agit de « la mise en vente de la récolte de trèfle que le desservant de Sannat (c’est à dire le curé) avait fait ensemencer sur un terrain qui doit servir d’emplacement à la maison d’école ». Considérant que cette décision le met « dans une fausse position vis-à-vis de ses administrés », rendant « sa tâche à peu-près impossible », il préfère démissionner, regrettant toutefois « que l’administration ne m’ait pas donné le temps de terminer les projets que j’avais conçus lors de ma nomination il y a neuf ans. » Bon prince le Sous-Préfet ne s’en offusque pas trop et précise au Préfet que Mr de Verdalle « bien que très ardent » (comprendre impulsif) « est un homme loyal ».
Ardent peut-être, mais populaire en son conseil ; l’imitant, trois jours plus tard, dix conseillers par solidarité font part à leur tour de leur démission. « …de nouvelles élections sont donc nécessaires » ajoute le Sous-Préfet. Or il n’y eut pas d’élections anticipées, les élections suivantes se sont déroulées à leur échéance normale, en 1860, le 19 août. L’organisateur en était le maire, Comte Vincent de Verdalle, ce qui signifie que tout avait dû rentrer dans l’ordre, le Préfet avait dû obtenir du maire qu’il reprenne sa démission, sa colère apaisée et peut-être satisfaction donnée ? Le représentant de l’Etat avait-il autorisé le curé à récupérer l’herbe du terrain qui nous servit de cour de récréation un siècle plus tard ? L’histoire hélas parcellaire retrouvée aux archives départementales ne nous le conte pas.
En ce jour d’élection municipale, le 19 août 1860, Mr de Loubens est réélu comme conseiller. 169 électeurs se sont portés sur son nom (il obtient le meilleur score parmi les élus). Mais encore une fois l’élection s’était déroulée en l’absence des migrants et moins de la moitié des électeurs avaient pu voter (194 votants sur 441 inscrits, soit 44%).
Ce mandat devait être le dernier, il allait être interrompu par le décès de Mr de Verdalle, survenu à la fin du mois de juin 1862, à l’âge de 43 ans. Vincent meurt en 1862 « d’une typhoïde contractée en essayant de soigner au Tirondet Marie-Blanche, l’une des filles de son frère Henry, atteinte de cette maladie que l’on ne savait pas soigner à l’époque » nous avait raconté Mr Antoine de Matharel.
Le problème engendré par sa succession a donné lieu à plusieurs échanges épistolaires entre Sannat et Guéret (La Préfecture) via Aubusson (La Sous-Préfecture) qui nous permettent de tenter de le conter.
La succession du Comte Vincent de Loubens de Verdalle, Maire de Sannat, à la suite de sa disparition en juin 1862.
Par lettre en date du 1er juillet 1862, l’adjoint, René Rayet informe le Préfet de la mort de Vincent de Loubens (appelé indifféremment de Loubens ou de Verdalle, le véritable nom étant de Loubens de Verdalle), « hier a eu lieu son enterrement » précise t-il « et toute la commune y était et s’est rendue à la limite de la commune pour recevoir les restes mortels de l’homme qu’elle aimait tant et qu’elle voulait conduire à sa dernière demeure…le cercueil descendu du corbillard à trois cents mètres du bourg a été porté à l’église et de l’église au cimetière et déposé dans la fosse par Messieurs les Conseillers qui l’avaient réclamé et qui ont voulu par là donner une dernière preuve de leur attachement à leur chef ». Vincent de Verdalle, depuis son mariage en 1857 avec l’héritière du château et du domaine de Marsat près de Chambon, Joséphine de la Tour Fondue, partageait son temps entre la demeure de son épouse et celle de son père, Annet, au Tirondet, ayant conservé sa fonction de maire de notre commune.
Il est décédé à Marsat et le corbillard venait donc de Chambon. L’église de Sannat était l’ancienne église, mais le cimetière était déjà le nouveau. René Rayet ajoute qu’à l’issue de la cérémonie les conseillers ont proposé au frère du défunt, Monsieur Henry de Verdalle, de le remplacer à la tête de la commune. Celui- ci a accepté. En conséquence il demande au nom du Conseil municipal et des habitants de la commune de nommer maire Mr Henry de Verdalle, ainsi ajoute t-il « vous rétablirez l’équilibre dans la commune où déjà se faisaient sentir des tiraillements déplorables. Des menaces même assez ridicules d’un bouleversement général de tout ce qui existe avaient été proférées par quelques personnes qui ambitionnaient la place de maire par un intérêt purement personnel. »
Effectivement les ambitions se réveillent et s’activent, deux personnes sont visées et avancent leurs pions. Il faut donc agir au plus vite, et porter le fer en plus grand nombre. Aussi la lettre de l’adjoint est- elle accompagnée d’une lettre collective des « conseillers municipaux de la commune de Sannat » et « des personnes notables » que sont le desservant (le curé Dumazet) et l’instituteur (Mr Faure).
Dans leur missive les pétitionnaires affirment que Mr Henry de Verdalle est l’homme de la situation car, argumentent-ils, « vous penserez sans doute comme nous Monsieur le Préfet, qu’il serait extrêmement déplorable pour une commune aussi importante que celle de Sannat et surtout dans la position où elle se trouve actuellement, avec les dettes qu’elle a contractées pour la construction de son école, et les sacrifices que vont encore lui imposer la confection de ses nouveaux chemins, si son administration tombait entre des mains inhabiles, ou entre les mains d’hommes qui ambitionneraient la place de maire, mus plutôt par un intérêt personnel que par un dévouement sincère à leur pays. »
C’est presque une pétition, l’Instituteur a- il eu raison de la cosigner ?
Outre la signature de l’instituteur et du curé suivent les paraphes de onze conseillers. Sachant que deux sont décédés, Vincent de Verdalle et quelque temps auparavant Mr Lothe, sur les quatorze membres restants, il en manque seulement trois. Le lendemain, 2 juillet, un douzième conseiller, absent la veille « et qu’on n’avait pas prévenu », écrit au Préfet pour soutenir à son tour la candidature du Comte.
La veille, jour d’envoi du courrier des conseillers, un alter ego et ami du Comte y allait de son soutien épistolaire et envoyait depuis Mainsat lui aussi sa lettre au préfet, il s’agit du Comte de la Roche- Aymon qui lui recommandait de nommer maire Henry de Verdalle, « frère ainé » (il a 44 ans) du défunt. Il justifiait son intervention par le fait que cette commune (Sannat) est « voisine de la sienne », qu’elle lui « est parfaitement connue », et qu’il y possède « beaucoup de propriétés ».
Le 6 juillet le Préfet répond au conseiller général qui lui a recommandé la nomination de Mr de Verdalle (est- ce Mr de la Roche- Aymon ?), dans une petite note très raturée qui semble être un brouillon « qu’il éprouve beaucoup de sympathie pour la famille de Verdalle » dont il connait bien un des membres, mais que « pour le moment il ne peut faire aucune promesse relativement au remplacement du frère par le frère. »
Le 8 juillet, le Sous-Préfet d’Aubusson envoie au Préfet, conformément aux instructions qu’il lui a données par lettre du 3 juillet, ses propositions. Il avance trois noms mais n’en retient qu’un seul : « Mr RAYET Marien, ancien maire » qui, dit-il, « jouît dans sa commune de l’estime et de la sympathie générale », et ajoute-t-il, ce qui dans le contexte de l’époque est de grande importance, « son dévouement au Gouvernement ne permet aucun doute ». Il précise « Mr RAYET vient, sur mon invitation, de se rendre à mon cabinet et il accepte la fonction dont il s’agit ». Un tableau annexé donne les informations suivantes sur les 3 candidats proposés (même si dans sa lettre, il ne parle que d’un seul le candidat qu’il promeut).
N°1 : RAYET Marien, propriétaire, conseiller municipal, 60ans, dont la fortune personnelle génère un revenu annuel de 2000F (ce qui représente 1/3 de plus que Mr de Verdalle !). Mr Rayet Marien est ancien maire et ancien adjoint. (Il a été maire 2 mois pendant l’intermède de 1848, et adjoint auparavant. Il est propriétaire du domaine du Boueix, près du Bourg).
N°2 : VALLANET Stanislas, notaire, conseiller municipal, 35 ans, revenu 1800F (c’est également plus que Mr de Verdalle dont le revenu était estimé à 1500F)
N°3 : RAYET René, adjoint, maréchal- ferrant, 56 ans, revenu 600F (en 1855 il déclarait un revenu de 400F). En « observation », il est mentionné « n’est pas parent de Rayet Marien proposé en première ligne ».
Remarquons que René Rayet et Stanislas Vallanet sont justement les deux conseillers dont la signature est absente sur l’appel du 1er juillet visant à la nomination à la magistrature communale de Mr le Comte Henry de Loubens de Verdalle ! Remarquons également que le Sous-Préfet ne mentionne aucunement le Comte Henry de Loubens de Verdalle dans sa liste de candidats.
Ayant eu vent de la possible nomination d’un autre que lui, et se sentant floué par les promesses non tenues qui lui auraient été faites par un personnage important d’Evaux, Mr Vallanet envoie à son tour, le 10 juillet, une lettre au Préfet pour soumettre sa candidature en arguant de son ancienneté « notaire à Sannat depuis 11ans, et membre du conseil municipal depuis 8ans », jouissant « croit-il, de la considération et de l’estime des habitants de sa commune », affichant des opinions politiques connues de tous « celles de ma famille ont toujours été pour le gouvernement actuel ».
Et il ajoutait ces arguments définitifs « feu Mr le maire de Sannat m’avait, longtemps avant sa mort, désigné même au sein de son conseil municipal comme le seul capable de le remplacer, ce qui, disait-il, aurait lieu dans peu de temps étant dans l’intention de donner sa démission » et d’autre part « si j’osais je vous dirais que les vœux des habitants de la commune de Sannat m’appelleraient à la fonction pour laquelle je m’adresse à vous ».
René Rayet lui-même qui a sans doute le premier avancé et soutenu la candidature de Mr de Verdalle, et qui n’admet pas qu’on puisse lui préférer son homonyme apparemment honni, ré- écrit au Préfet le 11 juillet pour exprimer tout son ressentiment à l’égard de celui dont manifestement il se murmure qu’il pourrait être le prochain maire. Dans son courrier, il reproche notamment à Marien Rayet « il a été de tout temps en opposition avec le conseil municipal », qu’il s’est en particulier opposé « à la construction de la maison d’école », à « la réfection des chemins » et notamment aux expropriations et aux rachats de terrains pour leur rectification ou leur création, et il s’est opposé « de façon systématique au maire défunt » et ce qui jette un doute pense-t-il sur ses opinions politiques : « a-t-il fallu se cotiser dans le conseil municipal pour les illuminations aux fêtes de l’Empereur, il a refusé 15 centimes, (1) et voilà l’homme dont on prône le dévouement ». Il rappelle qu’il n’a été maire que « quelques mois » et « il n’était alors que le prête-nom de Mr Pérard pendant qu’il était juge de paix à Evaux » et que cela se passait « au moment de la République ».
(1) Louis-Napoléon Bonaparte a remplacé toutes les fêtes civiques de la Seconde République par une fête nationale annuelle unique, le 15 Août qui deviendra la Saint-Napoléon, dite encore fête de l’Empereur. Les municipalités étaient invitées à pavoiser, illuminer leurs bâtiments et tirer un feu d’artifice en l’honneur de l’Empereur.15 centimes représente non la somme à débourser mais l’impôt additionnel (15%) voté par le conseil municipal.
Malgré tout, malgré l’auto-promotion des uns (Mr Vallanet, mais aussi René Rayet qui au passage vante ses propres mérites et met en avant tout le travail qu’il a accompli en tant qu’adjoint, notamment depuis que la maladie s’était emparée de Mr de Verdalle), malgré le soutien apporté au frère du défunt maire, et les critiques à son encontre, c’est bien Marien Rayet que le Préfet nommera par arrêté du 2 août 1862, invitant même le Sous-Préfet à se rendre à Sannat pour procéder à son installation, sans doute pour renforcer une autorité et une légitimité contestée par beaucoup. Pourquoi ce choix ?
On peut penser que la famille de Verdalle, forte de son ancienneté et de sa noblesse, qui ne cachait pas ses opinions royalistes, n’était pas suffisamment docile ou soumise, que les sentiments bonapartistes de Mr Vallanet n’étaient peut- être pas aussi anciens et sincères qu’il voulait bien le dire, et que la fortune de Marien Rayet, son expérience politique et peut- être même le fait qu’il ne fasse pas l’unanimité, ce qui l’affaiblissait, rassuraient le Préfet pour qui la docilité devait être la première qualité d’un édile.
Cette affaire de succession municipale devait faire une victime collatérale, comme envisagé précédemment, l’instituteur, Mr Faure.
Dans une lettre au Préfet justifiant son action (apparemment le Préfet lui a reproché d’avoir dévoilé trop tôt la possible nomination de Marien Rayet), le Sous-Préfet évoque le cas de l’instituteur en écrivant « La décision que vous avez prise Mr le Préfet, relativement à l’instituteur de Sannat, aura un excellent résultat ; il y avait déjà longtemps, à ce qu’il paraît, que ce fonctionnaire oubliait la réserve que lui imposait sa position. » Rappelons que Mr Faure avait dés le départ fait partie des « personnes notables » qui avaient proposé qu’Henry de Verdalle prenne la succession de son défunt frère.
La sanction, c’est une mutation d’office à Nouhant (à cette époque le pouvoir de nomination des instituteurs, politiquement sensible, appartient au préfet), commune beaucoup moins peuplée que Sannat, donc disposant de moins d’élèves. (Au recensement de 1866 Nouhant comptait 701 habitants alors qu’il y en avait 1565 à Sannat). Or le revenu de l’instituteur comprenait une part fixe versée par la commune, et une part variable payée par les familles (et éventuellement par la commune pour les familles les plus pauvres). Cette part variable dépendait en conséquence du nombre d’élèves. La sanction était donc géographique (obligation de partir), morale, et pécuniaire (baisse de la rémunération).
Dans une lettre adressée au Préfet, un certain Périgaud de Grandchamp, délégué cantonal à Chambon, qui avait connu l’instituteur lorsqu’il enseignait à Budelière, parle de « disgrâce qui brise complètement son avenir », notamment en termes de ressources financières. Il rappelle les qualités professionnelles du « sieur Faure » et soupçonne « quelque dénonciation calomnieuse » qui l’a probablement « induit en erreur » et regrette « une sanction sévère qui inflige au sieur Faure une flétrissure en faisant supposer qu’il s’est rendu coupable de quelque faute grave. »
Le 20 juillet 1862 l’instituteur, Mr Faure, écrit lui- même au Préfet pour expliquer qu’il est victime de calomnie, qu’il a retenu le conseil municipal qui était prêt à menacer le Préfet de démission s’il ne retirait pas sa sanction, qu’il n’est pour rien dans la pétition envoyée par la population. Il expose la douleur que cette sanction procure à sa personne et à sa famille, et annonce qu’il démissionnera si la mesure n’est pas annulée. Pour toute réponse, il reçoit quelques jours plus tard une lettre de l’inspecteur d’académie datée du 25 juillet qui confirme la sanction. L’inspecteur la justifie par le fait que l’instituteur n’avait pas à s’immiscer dans la vie politique locale. Sa faute, était bien d’avoir signé la lettre des onze conseillers qui demandaient la nomination de Mr Henry de Verdalle comme maire…et il faisait certainement partie de ceux, nombreux, qui étaient hostiles au maire nommé par le Préfet, Marien Rayet.
Au scrutin de 1865, les élections municipales ont donné le résultat suivant :
Inscrits : 448 Votants 246 (l’abstention passe en dessous de la moitié, 45%), majorité absolue 124.
Le maire sortant a été réélu, mais avec « seulement » 143 voix, soit moins que ses challengers potentiels ou déclarés de 3 ans auparavant, Stanislas Vallanet (175 voix), Comte Henry de Verdalle (175), et l’adjoint René Rayet qui arrive largement en tête avec 224 suffrages. Il est intéressant de mentionner la liste des élus avec leur village d’origine, car d’une part on retrouve des noms bien connus des Sannatois, et d’autre part parce que c’est avec ce conseil que débute en 1867 le premier registre des délibérations conservé en mairie.
Liste des élus de1865 dans l’ordre des voix recueillies) : 16 conseillers.
Rayet René, le Bourg/ Dumas Pierre, le Bourg/ Bigouret Jacques, Savignat/ Bussière Jean, La Ville du Bois/ Debrat Joseph, Samondeix/ Descout Antoine, La Chaize/Comte Henry de Verdalle, Le Tirondet d’en Haut/Hygonnet Joseph, Saint Pardoux/ Vallanet Stanislas, le Bourg/Fougère François, le Montgarnon/Revardeau François, le Bourg/Coury Jean, Serre/Rayet Marien, le Boueix /Tardivat Antoine, la Montagne / Bessière Jacques, le Rivaux/ Delage Jean, La Louche.
Si l’on consulte le registre du recensement de 1866 on constate que pratiquement tous les conseillers sont agriculteurs, à l’exception de 2 habitants du bourg, Stanislas Vallanet, notaire et René Rayet, maréchal – ferrant (mais également cultivateur). Aucun maçon ne figure au conseil, bien qu’ils soient 78 à être déclarés au recensement de 1866 ou environ 200 adultes à être mentionnés comme migrants en 1863 ou 1864 sur les enquêtes préfectorales. L’élection ayant lieu au cœur de l’été les maçons sont bien loin de Sannat, et même si elle avait lieu l’hiver, ils ne pourraient siéger au conseil étant absents les 3/4 de l’année. Ainsi, à cause de l’émigration, la vie politique locale était faussée.
Hélas le dossier des archives départementales concernant les élections municipales s’arrête là, la suite ne nous est connue que par les délibérations du Conseil municipal qui donne un compte rendu sommaire et administratif des délibérations, c’est à dire seulement la décision, et très peu de choses sur le pourquoi et le comment des choses. Les lettres conservées en préfecture d’abord, puis aux archives, comme celles concernant la succession de Mr de Verdalle, sont les restes d’un trésor malheureusement en grande partie disparu.
La première séance du Conseil Municipal dont les délibérations figurent sur le registre susdit date du 29 septembre 1867, le maire est encore Marien Rayet qui a été reconduit dans ses fonctions par le Préfet, tout comme René Rayet l’a été dans celles d’adjoint.
Jean-Pierre Buisson